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L'Express du 13/12/2004
L'Odyssée de l'espèce
Au commencement était…

par Françoise Monier

Qui est le plus lointain ancêtre de l'homme? Depuis près de deux siècles, il fait l'objet d'une traque effrénée: de l'Asie à l'Afrique, de Lucy à Orrorin et à Toumaï, les paléontologues n'en finissent pas d'écrire le roman de nos origines

Pétroliers et avionneurs n'étaient pas seuls à accompagner Jacques Chirac en Libye, lors de sa récente visite de réconciliation avec le colonel Muammar Kadhafi. La délégation française comptait un invité inattendu, le paléontologue Michel Brunet, découvreur de Toumaï, un crâne fossile de 7 millions d'années, considéré comme le plus ancien ancêtre de l'homme, trouvé dans le désert du Tchad. Entre ce pays et la Libye, la géologie ignore les frontières politiques. Les ossements anciens aussi. Tandis que les hommes d'affaires parlaient finances, Brunet préparait un accord l'autorisant à fouiller sur les territoires libyens les plus prometteurs. Ceux où pourrait se cacher un hominidé encore plus ancien. Le Poitevin, protégé par le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, a ainsi marqué un point dans le combat que se livrent actuellement les plus grands paléontologues de la planète. Ce qui était, il y a quelques décennies, une «course à l'os» est devenu une véritable guerre. La National Science Foundation est prête à consacrer 2,5 millions de dollars pour réserver aux Américains les meilleurs terrains. L'Afrique est au cœur de l'affrontement, comme pour les matières premières, et, dans cette guerre, presque tous les coups sont permis.

© A. Beauvilain

Le travail des chercheurs s'effectue souvent dans des conditions spartiates. Ici, le géographe Alain Beauvilain, au Tchad, en 2001.
Tout le mal viendrait de ce que l'on se trompe d'objectif, selon Pascal Picq, maître de conférences en paléontologie au Collège de France. Dans un document publié l'an dernier, Au commencement était l'homme (éd. Odile Jacob), il explique: «Au lieu de se polariser sur des pseudo-chaînons manquants, les savants seront obligés de mieux cerner l'ancêtre. Celui-ci aurait certains caractères des grands singes et déjà ceux qu'on trouvera chez les hommes. Mais, pour mieux définir ces attributs, il faudrait connaître nos cousins primates avec plus de précision.» Or la primatologie, longtemps considérée comme une discipline mineure, n'a pas encore fait la jonction avec la paléontologie humaine. Et la recherche d'anciens restes des différentes catégories de singes n'est pas souvent considérée comme essentielle à la connaissance de l'homme. Ceux-ci, aussi, ont changé depuis des millénaires, avant de présenter le visage des gorilles et des chimpanzés qu'on peut voir maintenant dans les zoos ou les forêts tropicales. En suivre les étapes pourrait aider à trouver le fameux DAC.

Pourtant, Yves Coppens, aujourd'hui professeur au Collège de France, conseiller scientifique de la célèbre série télévisée L'Odyssée de l'espèce, après avoir longtemps dirigé le laboratoire de paléontologie au musée de l'Homme, risque un portrait-robot du DAC. Il aurait un petit crâne, un peu projeté vers l'avant. A l'intérieur, un cerveau de 250 à 300 centimètres cubes. Les dents sont petites, mais à l'émail épais, car il ne se contente plus de fruits et commence à mâcher des racines. Le pouce de la main, opposé aux autres doigts, lui permet de saisir un objet plus finement que les singes. L'ancêtre grimpe encore aux arbres, donc les articulations des pieds et des mains sont adaptées. Cependant, il a tendance à se redresser et à marcher sur ses pieds. Pour y arriver, le muscle du grand fessier, le guteus maximus, est développé, preuve que ce lointain parent était plus bipède qu'arboricole. Evidemment, ce grand fessier, personne n'imagine le trouver. En revanche, on examinera de près la «ligne âpre», cette rugosité du fémur qui marque l'insertion du muscle. Et Coppens de citer Buffon, le père de la science paléontologique: «L'homme, c'est la fesse.» Malgré tout, il ajoute: «C'est aussi la faculté de concevoir un outil, de vivre en groupe, d'ajouter le sentiment amoureux à la pulsion sexuelle. Bref, c'est l'état le plus complexe et organisé de la vie sur terre.»

«Fixistes» contre «transformistes»
Longtemps la question fut réglée par la Bible. Dieu avait créé l'univers en sept jours, et consacré le dernier à façonner un être humain. Mais, avec les voyages lointains, les découvertes de plantes et d'animaux se multiplient. Les catalogues des naturalistes s'allongent. On y trouve, pêle-mêle, des données observées et des éléments de légende. Il faut mettre de l'ordre dans tout ce fatras. Au XVIIIe siècle, le Suédois Carl von Linné invente la systématique, cette classification des êtres vivants en classes, ordres, genres et espèces. En premier, il place les hommes - qu'il baptise Homo sapiens - dans l'ordre des primates, à côté des grands singes supérieurs - qu'il nomme Homo sylvestris - à cause, précise-t-il, de leurs ressemblances corporelles. Mais n'est-ce pas le premier pas vers la reconnaissance d'une parenté?

Au XIXe siècle, les découvertes de fossiles se multiplient en Europe. On s'interroge sur la destinée de ces êtres disparus qui ont laissé leurs squelettes incrustés dans le schiste ou le calcaire. Dans le lot apparaissent des ossements humains. Mais leur apparence est trop semblable à celle des vivants pour qu'on cherche à élucider leur passé. Deux savants français dominent les débats en ce début du XIXe siècle: Georges Cuvier, fondateur du Jardin des Plantes, et Jean-Baptiste de Lamarck, spécialiste des fossiles d'invertébrés. Le premier, qui se proclame «fixiste», est persuadé que les espèces restent stables jusqu'à ce qu'une immense catastrophe renouvelle toute la vie sur terre. Le second, baptisé «transformiste», estime que la faune et la flore se modifient d'étape en étape.

Le premier à reconnaître une filiation entre les vivants et les morts, c'est l'Anglais Charles Darwin, le pape de l'évolution. Embarqué comme naturaliste sur le Beagle, un navire qui fait escale aux îles Galapagos, au large de l'Equateur, il est frappé par certaines ressemblances entre les fossiles très anciens d'animaux pétrifiés et les bêtes bien vivantes qu'il aperçoit dans la forêt. A son retour, il rédige sa grande œuvre, De l'origine des espèces, dans laquelle il développe sa théorie: les fossiles et les animaux actuels appartiennent aux mêmes familles, mais le temps les a faits différents, selon les pressions de l'environnement. Il ose démontrer, dans un livre publié à la fin de sa vie - La Filiation de l'homme - une parenté entre le singe et l'homme. Scandale. Toute la bonne société veut l'abattre. La femme de l'évêque de Worcester déclare: «L'homme descendrait du singe. J'espère que ce n'est pas vrai. Si cela l'était, pourvu que cela ne s'ébruite pas!» Ridicule? Pas tant que cela. Aujourd'hui encore, on répugne à accepter cette origine vulgaire. Certains même, les créationnistes, combattent ouvertement les travaux de Darwin et de ses successeurs. Pour eux, Dieu a fabriqué une fois pour toutes les espèces telles qu'elles sont actuellement. Ils cherchent à imposer leur vision du monde, à coups de débats et de procès, notamment pour modifier les livres scolaires. On les trouve partout, sur tous les continents, que ce soit chez les fondamentalistes protestants, les juifs ultra-orthodoxes ou les islamistes radicaux. Pire: des sectes, de plus en plus nombreuses, prétendent que l'homme tel que nous le voyons existe depuis le temps des dinosaures, voire depuis l'ère primaire, ou qu'il vient d'une autre planète. Voilà qui n'aide pas les paléontologues à trouver des appuis et des aides.

La théorie de l'«East Side Story»
Darwin avait inventé le terme - aujourd'hui rejeté - de «chaînon manquant». Un groupe d'êtres vivants qui auraient les caractéristiques permettant de passer d'une espèce à une autre. Au tournant du XXe siècle, un jeune médecin néerlandais, Eugène Dubois, part pour l'Indonésie, persuadé qu'il va y trouver ce fameux chaînon. Le premier, il organise des fouilles énormes, avec des centaines de travailleurs, à Java. Il y déterre le pithécanthrope de Java, premier Homo erectus jamais vu, un ancêtre d'il y a 1 million d'années qui se tenait debout. Les grandes académies scientifiques de l'époque ne veulent pas admettre l'importance de sa découverte. Un quart de siècle plus tard, un autre jeune médecin, Raymond Dart, anglais installé en Afrique du Sud, est rejeté de la même manière par la science officielle. Pourtant, il a reconnu dans l'étrange presse-papier du patron d'une mine un crâne d'hominidé très ancien. Il le scrute, le mesure, et voit en lui un très lointain ascendant. Age: environ 2,5 millions d'années. Nom: Australopithecus africanus. Il faudra presque un quart de siècle pour que le travail de pionnier de Dart soit reconnu.

«Rien d'étonnant, explique Yves Coppens. Tous les vingt ans, les paléontologues forgent une nouvelle hypothèse et se lancent dans une nouvelle frénésie d'exploration. Ils exhument des ossements, les étudient, établissent une nouvelle généalogie. Leurs successeurs repartent sur de nouvelles bases de travail. Et ça recommence.» En 1940, le Bâlois Johannes Hürzeler est persuadé d'avoir mis la main sur le plus vieil humain dans une mine de lignite, en Toscane. Oreopithecus bambolii, avec sa bonne tête d'hominidé, aurait prouvé que notre origine était européenne. Hélas! ses bras, très, très longs, appartenaient à un très vieux singe des bois. Exit le bambolii européen. Vingt ans plus tard, deux chercheurs de l'université de Yale, aux Etats-Unis, se tournent vers l'Asie. Mais ils ne mettent pas au jour de précurseurs de l'homme. Fin de la piste asiatique.

© A. Beauvilain

Ahounta Djimdoumalbaye, le découvreur de Toumaï, le plus vieil ancêtre de l'homme.
Alors l'Afrique entre en scène. Une famille d'Anglais du Kenya, les Leakey, fouille en Tanzanie, dans des terrains géologiques très anciens. En 1959, ils exhument des restes magnifiques d'un australopithèque de presque 2 millions d'années. La nouvelle fait l'effet d'un coup de tonnerre: que l'origine de l'homme se trouve en Afrique est, pour certains, difficile à avaler. Les jeunes chercheurs, eux, ont compris. Ils partent pour scruter les régions volcaniques de l'est du continent. Les Français préfèrent l'Ethiopie, laissant le reste de l'Afrique orientale aux Anglo-Saxons. En effet, dans la zone du Rift, cette faille qui s'ouvre de la vallée du Jourdain au cours inférieur du Zambèze, on peut lire, dans les couches géologiques qui sont comme les feuilles d'un livre ouvert, la succession des millénaires. Le géologue Maurice Taïeb, de l'université de Montpellier, a ramassé, dans le désert éthiopien, des fossiles intéressants. Très vite, les Américains s'y précipitent, avec des moyens logistiques importants. Parmi eux, Donald Johanson, avec le Français Taïeb. C'est là, dans la vallée de l'Hadar, en 1974, qu'ils mettent au jour le squelette presque entier d'une petite femelle baptisée par Tim White Australopithecus afarensis, prénommée familièrement Lucy. A l'époque, avec ses 3,5 millions d'années, c'est le plus ancien fossile d'hominidé connu. Elle est alors considérée comme «la grand-mère de l'humanité». Reléguée aujourd'hui au rang de spécimen d'une branche sans descendance, elle a quand même servi à populariser la paléontologie. Et à permettre à Yves Coppens d'élaborer sa théorie de l'«East Side Story»: à la suite d'un changement climatique, il y a environ 4 millions d'années, les territoires à l'est du Rift deviennent plus chauds et plus secs. Les grands arbres laissent la place aux graminées. Pour échapper aux prédateurs, l'hominidé se redresse, scrute l'horizon au-dessus des herbes. La position debout lui permet de courir en cas de danger. Bientôt, il s'organisera en tribus, un début de société. Coppens en est certain: «L'humain n'a pas pu apparaître dans la forêt. Il est typiquement un mammifère de savane.»

Aujourd'hui, on est à un nouveau tournant. Deux importants fossiles ont peut-être changé la donne. Le premier a été trouvé au Kenya en l'an 2000. Brigitte Senut et Martin Pickford, l'une, maître de conférences au Muséum national d'histoire naturelle et spécialiste des articulations des premiers hominidés, l'autre, rattaché au Collège de France, ont travaillé quelque trente ans dans l'Est africain, en Namibie et en Ouganda, avant de s'installer dans les collines de Tugen, au bord du lac Baringo. Orrorin - de son nom savant Australopithecus tugenensis - est déjà clairement bipède, alors qu'il date de 6 millions d'années. Serait-il, en cette année du millénaire, le premier ancêtre connu? Les chercheurs anglo-saxons, vexés d'être battus sur un territoire géographique qu'ils estiment leur appartenir, boudent la découverte. Richard Leakey - le fils de Louis, découvreur de l'australopithèque tanzanien - tente même d'empêcher l'équipe Senut-Pickford de travailler au Kenya.

Mais il n'y a pas que le Rift. Dans les années 1960, Yves Coppens avait fait de belles découvertes de fossiles très anciens au Tchad. Michel Brunet, qui a baroudé en Afghanistan, au Pakistan et au Cameroun, y obtient la permission de fouiller. En 2001, une partie de son équipe, réunissant le géographe français Alain Beauvilain et trois chercheurs africains, déterre, dans la zone désertique du nord du pays, un fossile encore plus antique qu'Orrorin. Après des semaines au milieu des dunes, dans la fournaise du Djourab, ramassant des dents et des restes de fémurs de mammifères qui vivaient là 6 à 7 millions d'années auparavant, quand le Tchad connaissait un climat tropical, les voici face à un crâne noirci par le temps et les éléments.

Inespéré. Beauvilain raconte dans un livre passionnant - Toumaï (éd. la Table ronde) - qu'au moment de plier bagage le Tchadien Ahounta Djimdoumalbaye appelle ses camarades: ce bout de crâne sort à peine du sable, mis au jour grâce au vent qui fait en permanence son travail de sape. Michel Brunet est chez lui, en France. Prévenu, il arrive une semaine plus tard et se fait abondamment photographier sur le site avec un moulage du fossile. Sans le petit groupe qui a sué sang et eau pour quadriller le désert. Ce n'est peut-être pas par hasard que Brunet a été surnommé «le cow-boy». Toumaï (de son nom scientifique Sahelanthropus tchadensis) est finalement présenté en juillet 2002 comme le plus vieil ancêtre de l'homme jamais exhumé: 7 millions d'années.

Un grand débat entre paléontologues
Mais ce Toumaï, dont on ne connaît que le crâne, a-t-il tout ce qu'il faut pour se prétendre notre ancêtre? Aucun morceau de bassin, de fémur ou de pied ne permet de confirmer qu'il était bipède. Les professeurs Milford Wolpoff, de l'université de Michigan, John Hawks, de celle du Wisconsin, ainsi que Brigitte Senut vont plus loin. Ils signent dans la revue Nature, pendant ce même été 2002, une lettre ouverte affirmant que la base de son crâne et sa dentition en feraient plutôt l'ancêtre d'un grand singe. Peut-être même une femelle. En bref, une paléo-gorillette. Brunet écume de rage. Les discussions commencent.

Pourquoi tant de débats? Pour Herbert Thomas, sous-directeur du laboratoire de paléontologie du Collège de France, c'est le titre envié de découvreur du plus vieil ancêtre de l'homme qui fait courir - et rugir - les paléontologues. Or il y a beaucoup d'acteurs pour peu de postes et encore moins de moyens financiers - Dieu sait s'il en faut pour se rendre sur le terrain. Les places sont donc très convoitées. Les enjeux, énormes. D'abord, la gloire. Ensuite, l'argent. Beaucoup, beaucoup mieux qu'un prix Nobel.

Tim White, l'un des «inventeurs» de Lucy, est actuellement le pape de la paléontologie mondiale. A la tête du très célèbre laboratoire de l'évolution humaine de la prestigieuse université de Berkeley, en Californie, il dispose de crédits assez importants pour envoyer ses équipes en Afrique, en Asie et en Europe. Donald Johanson a convaincu suffisamment de mécènes pour créer son propre Institute of Human Origins, rattaché à l'université d'Arizona (Etats-Unis). Quant à Michel Brunet, il vient de recevoir un prix de 1 million de dollars de la fondation Dan David, gérée par l'université Harvard, où règne David Pilbeam.

Cependant, tous les chercheurs ne vivent pas dans cette opulence. Ils gagnent chichement leur vie, triment durement sur le terrain. Dans son livre Toumaï, Alain Beauvilain raconte les heures passées sous une chaleur écrasante, les vents de sable qui se lèvent soudain, la crainte des voleurs, les nuits à bivouaquer à même le sol, la nécessité de maintenir le moral de tous les membres de l'équipe, comme sur un bateau. Il ne suffit pas d'ailleurs de ramasser des fossiles et de rapporter sa récolte au laboratoire. Cet os, il faut l'identifier, le situer, l'analyser en anatomiste dans les moindres détails. Ensuite, seulement, faire appel à l'intuition nourrie par l'expérience et par l'étude des fossiles des autres. Dominique Gommery, directeur de recherche au CNRS et codécouvreur de plusieurs fossiles en Namibie et en Afrique du Sud, recommande de le dessiner, comme au XVIIIe siècle, avant de le photographier. Ensuite, de le prendre en main, d'en sentir les contours, de «s'imprégner de l'os, [de] quasiment communier avec lui», avant de le comparer aux autres. Yves Coppens ajoute: «Si vous vous contentez du fragment d'os que vous avez sous le nez, vous allez voir un bout de mâchoire avec deux dents, plus ou moins usées. Le paléontologue va voir au-delà, le crâne, le squelette, l'animal et son monde. Il y faut à la fois de la rigueur et de l'imagination.»

Mais, au fait, qui peut créer une nouvelle espèce à partir de quelques rares ossements desséchés? Réponse: n'importe quel paléontologue. Jusqu'à ce que ses confrères, examinant minutieusement ses fossiles, ne protestent par le truchement de la presse scientifique. Y a-t-il vraiment une entité biologique nouvelle ou seulement une variante due à l'âge ou au sexe? Le problème est que les scientifiques sont pressés de baptiser leur bébé, comme pour laisser leur marque, à la manière d'un copyright. Cela leur joue parfois des tours. Dans les années 1970, des Anglais trouvent, en Inde, un crâne de singe de 10 millions d'années, vite prénommé Ramapithèque, en l'honneur du dieu Rama. Un peu plus tard, au Pakistan, David Pilbeam, leader de l'anthropologie américaine de l'époque, tombe sur une face de primate datée, selon lui, de 9 millions d'années. Il l'appelle Sivapithèque, en hommage au dieu Siva. Puis les morceaux sont soumis à un nouvel examen. Horreur: le primate dédié à Rama est tout simplement la femelle de celui consacré à Siva. Plus courant: le reclassement des fossiles qui passent de la case préhumain, plus prestigieuse, à celle de préprimate, moins cotée. C'est ce qui est arrivé à Tim White. En 1994, il met au jour un superbe fossile qu'il nomme Australopithecus ramidus, donc de noble lignée. Mais une étude approfondie le range dans une caste moins prestigieuse et l'oblige à changer de patronyme pour devenir Ardipithecus ramidus.

Une évolution «buissonnante»
Mais de l'erreur on peut facilement passer à la fraude. Evidemment, aujourd'hui, tous les contrôles sont mis en place pour l'empêcher. Car tout le monde a en tête l'affaire de l'homme de Piltdown. Un canular devenu, au milieu du XXe siècle, une affaire d'Etat. Herbert Thomas a raconté ses dix ans d'enquête dans un livre palpitant - Le Mystère de l'homme de Piltdown (Belin) - que la romancière britannique Agatha Christie n'aurait pas désavoué. En 1912, au fond du Sussex, Charles Dawson, petit avoué dévoré d'ambition et archéologue amateur, trouve - par miracle - un crâne presque entier, à deux pas de chez lui, dans le village de Piltdown. Il appartiendrait à un contemporain de Cro-Magnon, exhumé une vingtaine d'années plus tôt en Dordogne, où il vivait voici 80 000 ans. Avec la découverte de ce vieux crâne bruni, Dawson vient de damer le pion aux ennemis héréditaires, les Français. Des centaines de publications sont consacrées au «premier Anglais». Jusqu'à ce que, un demi-siècle plus tard, on s'aperçoive qu'il s'agit d'un faux, fabriqué à partir d'un crâne humain du Moyen Age, accolé à une mâchoire de singe contemporain, le tout étant coloré en marron.

Cependant, malgré l'accumulation de fossiles - on en compte actuellement quelque 15 000, certifiés, ceux-là - le roman des origines est de plus en plus embrouillé. Personne ne croit plus à une évolution en ligne droite, menant des vieux primates aux allures de singes aux hommes modernes. L'évolution, «buissonnante», s'est donc faite de manière irrégulière, avec des lignes sans descendance. Comme en témoigne la toute dernière découverte en Catalogne (Espagne), au mois de novembre 2004, d'un hominoïde, baptisé Pierolapithecus catalaunicus, par l'équipe de Salvador Moyà-Solà (Institut de paléontologie de l'université de Barcelone). Ce squelette presque complet, remarquablement conservé, serait estimé vieux de 12,5 à 13 millions d'années. Une époque, celle du miocène moyen, dont les archéologues n'avaient aucun vestige fossile de singe hominoïde. En ce sens, il pourrait se rapprocher du dernier ancêtre des grands singes actuels et des humains. Notre cousinage, même s'il n'est pas toujours bien accepté, s'en trouve conforté. Comme nous devons admettre un nouveau paradigme: tout ce foisonnement n'est pas destiné à aboutir à un homme parfait. Car l'évolution n'a pas de but.


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